lundi 25 mars 2013

À propos de la musique québécoise et celle de Pierre Lapointe


Alain Brunet, blogueur du site La Presse pour la
section musique. 
Alain Brunet est le chroniqueur musical du site électronique du journal La Presse. Dans un de ses billets du mois de février, il a écrit un texte portant sur la musique de Pierre Lapointe, un chanteur québécois bien en vue au Québec. De son billet, je retiens la leçon d'histoire linguistique qu'il nous propose, à savoir, « Pourquoi parlons-nous joual de ce côté de l'Atlantique? » Personnellement, je pense que le texte de Monsieur Brunet pose des questions intéressantes et amène des réponses tout aussi intelligentes. Voilà, je suis maintenant un lecteur d'Alain Brunet, blogueur du site La Presse. - Professeur C. 
Pierre Lapointe, Moran, le français normatif - Billet de blogue d'Alain Brunet
Côté chanson, le français normatif demeure suspect en Amérique. La chanson ainsi écrite se présente au bâton avec deux prises. Y a-t-il méprise ?
De ce côté de l’Atlantique, le déclin du français normatif remonte à la Révolution tranquille, enfin depuis que la langue familière d’ici a pris sa revanche sur le français des classes dominantes. Réservé aux curés, médecins, notaires, petits bourgeois et personnalités des arts classiques, ce français jugé exemplaire était très souvent une pâle imitation du français d’Europe. C’était aussi l’expression d’un colonialisme lointain, suranné, empesé. Lorsque la puberté souverainiste fut venue, «bien perler» devint répréhensible, l’expression d’une acculturation révolue.
À partir de là, intellectuels et artistes progressistes d’ici se sont appliqués à rehausser leur langue familière, à en débusquer les images les plus belles, à rendre notre joual littéraire et poétique. Inutile d’ajouter que les auteurs de chansons sont allés au front de cette mutation émancipatrice. Certains sont parvenus à leurs fins. Successeurs de Félix Leclerc et Gilles Vigneault, Claude Péloquin, Réjean Ducharme (dans son oeuvre chansonnière et non dans la romanesque), Marcel Sabourin, Jean-Pierre Ferland (deuxième période), Plume Latraverse, Richard Desjardins, Pierre Harel, Michel Rivard, Pierre Flynn, Louise Forestier, Sylvain Lelièvre. On en passe, bien évidemment. Ces paroliers de talent ont réussi à colorer une langue française certes maîtrisée mais en l’émaillant de savoureuses expressions d’ici. D’un rythme d’ici. D’une vision du monde en phase avec le territoire. À n’en point douter, ces auteurs ont participé à la création d’une authentique littérature chansonnière de la société francophone d’Amérique.
Chacun sait que la chanson fut un véhicule privilégié de ce renouveau linguistique, fondé sur l’assomption de plusieurs siècles d’américanité. Depuis les années 60, donc, le joual signifiant l’a même emporté sur le québécois de bon aloi et cette langue familière magnifiée a carrément éradiqué tout français normatif de son passage. Mara Tremblay, Fred Fortin, Daniel Boucher, Lisa LeBlanc, Dany Placard, Keith Kouna, Mario Peluso, Olivier Langevin et autres Catherine Durand illustrent bien la santé apparente de ce joual signifiant. Bernard Adamus, Stéphane Lafleur, Martin Léon ou Fred Pellerin en transcendent carrément l’approche.
Pourquoi alors s’escrimer à écrire en français international ? Pourquoi Pierre Lapointe et Jean-François Moran, qui font leur rentrée cette semaine, s’y appliquent-ils donc ? En général, on observe que les régionalismes ne sont pas légion dans leurs rimes. À l’évidence, leur poésie chansonnière exploite un vocabulaire et des aspirations stylistiques plus proches du français international que du français régional.
Très souvent, les auteurs québécois de ce type sont jugés à tort pour avoir choisi d’écrire ainsi. Côté public, il s’en trouve encore beaucoup pour y conclure au trou du cul de poule, au maniérisme, à l’acculturation. À une écriture ampoulée, tarabiscotée, empruntée. À une langue «qui ne nous ressemble pas».
Lorsqu’on en vient à critiquer de tels artistes pour des raisons autres que celle dont il est ici question (par exemple, cette première partie mal préparée de Pierre Lapointe au Théâtre Maisonneuve, cette voix aux prises avec microbes et/ou virus, ces pertes de mémoire, ces fausses notes dans plusieurs mélodies, cette mauvaise sonorisation de l’orchestre et sa direction clairement déstabilisée) plusieurs en profitent alors pour taper sur ce «bien perler» qui les agace tant.
À tort.
Pierre Lapointe, Moran, sa compagne Catherine Major (qui a fait une brève apparition sur scène lundi soir) et d’autres auteurs de chansons se mesurent à l’entière francophonie. Il ne s’agit surtout pas de dénigrer les autres qui parviennent à écrire de grands textes à partir d’une langue familière qui restera locale sauf exception, mais plutôt de reconnaître ces efforts parfois couronnés de succès.
Et il y a lieu ici de réprimander ceux-là qui méprisent ces efforts et qui ne maîtrisent pas leur langue, soit ce français de base que tout francophone doit maîtriser sans renier les saveurs locales de sa culture. Il y a lieu de réprimander ceux-là qui se confortent dans une langue approximative dont ils ne connaissent pas vraiment les règles (orthographe, grammaire, syntaxe) et la signification exacte des mots. Ceux-là sont bien malvenus de fesser sur ces auteurs de chansons qui s’expriment autrement.

Pierre Lapointe - « Je reviendrai » 

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