lundi 15 avril 2013

Le joual

Par Marie-Ève Girard, stagiaire au Participe

Michel Tremblay, dramaturge québécois. Crédit photo: www.lapresse.ca
Vous souvenez-vous de la dictée diagnostique qui vous a été donnée en début de session? Il y était question de l’auteur Michel Tremblay et de son œuvre, qui met en avant-plan le joual, un sociolecte1 québécois.



Le terme « joual » fait son apparition dans les années 1930 un peu partout au Canada francophone et ailleurs. À l’époque, le mot sert à ridiculiser des gens appartenant à une certaine classe sociale, qui prononcent « joual » au lieu de « cheval » par manque d’éducation ou par goût.2 Comme vous l’avez sans doute remarqué, il existe deux variations de français au Québec : il s’agit du français international ou encore du français écrit, et du français oral aussi appelé plus communément le français québécois. Le français international est le français qui nous est enseigné dans les établissements scolaires, celui qui est utilisé dans les livres, bref il s’agit d’un français dépourvu de toute connotation et qui demeure le même peu importe le pays francophone d’origine de son locuteur. Le français québécois, quant à lui, est la variété de la langue française parlée par la majorité des Québécois. Il est empreint de certaines particularités linguistiques telles que la disparition du ne précédant le pas dans un énoncé négatif (« Je ne parle pas. » sera dit « Je parle pas. ») et l’ajout de la particule tu lorsqu’on pose une question directe (« Tu y vas-tu? »), pour n’en nommer qu’une infime partie.

Le français québécois lui-même se déploie en un éventail de variétés régionales et l’une d’elle est le joual. Il s’agirait d’une variété issue de la culture populaire urbaine de la région de Montréal. Le joual possède des particularismes phonologiques, lexicaux et morphosyntaxiques proches de ceux de certaines régions de la France (au nord de Bordeaux et à l’ouest de Paris). Les a du joual sont prononcés à l’arrière de la cavité buccale, ce qui les rapproche plus du son o. La diphtongue3 y est fréquente et on y trouve des prononciations telles que moé pour moi et artourner pour retourner.

À partir de 1950, le joual a tranquillement gagné des lettres de noblesse. Certains locuteurs en ont fait leur orgueil, blason de leur fierté d'être Québécois.  L'un des artistes le plus connu de ce courant est nul autre que Michel Tremblay, qui a intégré le joual à ses pièces de théâtre. À l’époque, les normes du théâtre canadien-français étaient basées sur l’élitisme et Michel Tremblay a courageusement brisé les conventions de l’époque en restant authentique et fidèle, jamais honteux, face à la réalité québécoise.
Tintin parle aussi le joual depuis 2009 dans l'une des
 nombreuses traductions de l'oeuvre de Hergé. Crédit image:
http://journalmetro.com/culture/19121/des-le-21-octobre-tintin-parlera-le-joual/

Plusieurs écrivains et artistes québécois s’en sont servis comme véhicule de leur pensée artistique. Le joual a même gagné, au cours d’une certaine époque, une valeur identitaire. 

Aujourd’hui, la définition du terme joual est en flottaison. De nombreux débats linguistiques s’attardent sur le sujet, qu’ils proviennent de Georges Dor4 qui le perçoit de manière très péjorative ou de Marty Laforest5 qui en offre une vision plus compréhensive axée sur des recherches rigoureuses. Quoi qu’il en ressorte, souhaitons simplement que les Québécois prendront un jour conscience de la richesse et de l’unicité de leur variété de français et cesseront de souffrir d’insécurité linguistique.


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1 En linguistique, un sociolecte est le parler d'un groupe social, d'une classe sociale ou de toute catégorie se distinguant par une « culture intime ».

2André Laurendeau, éditeur en chef du quotidien Le Devoir.

3Une diphtongue est une voyelle dont le point d'articulation varie entre deux sons de base pendant sa réalisation. Ex : Ma maère au lieu de ma mère.

4Dor, Georges. Anna braillé ène shot (Elle a beaucoup pleuré). Éd. Lanctôt, 1996,191 p.

5Laforest, Marty. États d’âme, états de langue, essai sur le français parlé au Québec, 1997, Nuit blanche éditeur, 143 p.


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