CHRONIQUE
LINGUISTIQUE DU PARTICIPE
CINQ
MOTS ET UNE EXPRESSION MALCHANCEUX
Il
est arrivé à tout un chacun, à un moment ou à un autre,
qu’importe sa maîtrise de la langue, d’utiliser incorrectement
des mots. En effet, certains emplois, bien qu’erronés, sont
parfois si ancrés dans l’usage qu’ils échappent même à l’œil
le plus aiguisé. Ils prennent soit la forme de l’impropriété,
c’est-à-dire l’emploi d’un mot ou d’une expression dans un
sens qu’il n’a pas, soit celle de l’anglicisme sémantique, à
savoir l’emprunt à l’anglais du sens d’un mot dont la forme
existe en français. Comme ces écarts de langue se comptent par
centaines, le présent article ne peut donc pas en dresser une liste
complète. Il présente plutôt quelques-uns des cas les plus
courants au Québec afin de vous sensibiliser à la question. Si vous
souhaitez en savoir davantage, la Banque
de dépannage linguistique
de l’Office québécois de la langue française contient un grand
nombre d’articles sur le sujet.
LES
ANGLICISMES SÉMANTIQUES
L’anglais
et le français sont des langues très similaires : elles
descendent toutes les deux du latin ; leur alphabet est presque
identique ; leur structure phrastique est similaire ; elles
possèdent aussi un grand nombre de mots proches d’un point de vue
orthographique et sémantique. La langue française du Québec,
province enveloppée par des territoires anglophones depuis ses
origines, a donc subi l’influence de l’anglais et s’est vue
envahie par une importante variété d’anglicismes, dont ceux dits
sémantiques, qui, de par leur nature, se sont ancrés dans l’usage
plus subtilement que les autres. Parmi eux, il y a les mots
identifier,
spécifique
et alternative.
Identifier
Ce
verbe est souvent utilisé comme synonyme du verbe nommer ;
pourtant, en français, il n’a pas le sens de « indiquer son
identité » en français. Par exemple, « veuillez vous
identifier » est une formule fautive.
Identifier
devrait plutôt être utilisé dans le sens de « considérer
comme identique », « établir l’origine, la nature »
ou « reconnaître comme appartenant à une espèce, à une
catégorie, etc. ». On peut notamment identifier des produits
chimiques en laboratoire comme
bases ou acides, identifier des animaux à une espèce ou identifier
une personne à un organisme, à une vedette.
Spécifique
Le
verbe spécifier
étant un synonyme de préciser
et d’expliciter,
on serait porté à croire que le cas de l’adjectif spécifique
est analogue, et que celui-ci possède ipso facto le sens de précis
ou d’explicite.
Ex. : « L’élève
ne connait pas la raison spécifique
de son échec. »
On
ne peut toutefois l’employer ainsi. Cet adjectif, de même que
l’adverbe spécifiquement,
ne possède pas, contrairement au verbe, une acception anglaise. Son
utilisation se limite à indiquer que quelqu’un ou quelque chose
est particulier à une espèce ou à une chose. Par exemple, une
loi peut être spécifique à un domaine
et
un goût,
être spécifique à un aliment.
Alternative
Les
expressions comme « solutions de rechange » ou « autres
possibilités » ne sont pas suffisamment élégantes pour
certains, qui, à tort, se considèrent plus éloquents et concis en
utilisant alternative.
Ex. : « Plusieurs
alternatives
s’offraient au joueur de poker : égaliser, relancer ou se
coucher. »
La
signification de ce mot en français en surprendra plus d’un. D’une
part, celui-ci ne peut, bien souvent, prendre la marque du pluriel ;
d’autre part, il ne doit être utilisé que lorsque deux solutions
sont envisageables. Par définition, une alternative n’est pas un
choix, mais une situation où deux possibilités s’offrent à
quelqu’un, lesquelles mènent, il importe de ne jamais l’oublier,
à des résultats différents.
Ex. : Le
joueur de poker est confronté à une
alternative :
relancer ou se coucher.
LES
IMPROPRIÉTÉS
Les
impropriétés peuvent naître dans une langue pour des raisons
variées, raisons qui ne sont pas toujours faciles à cerner. Deux
cas sont particulièrement récurrents tout de même. Certains
termes, peu courants dans l’usage, sont parfois confondus avec
leurs paronymes. D’autres possèdent une définition très proche
d’un autre mot, ce qui amène certaines personnes à considérer
comme synonymes deux termes qui, en réalité, ne le sont pas. Au
Québec, l’emploi impropre de littéralement,
conventionnel
et au niveau
de est fréquent.
Conventionnel
Ce
mot est souvent perçu comme un synonyme de traditionnel.
Ex. : « Cet
homme cuisine un plat conventionnel. »
Bien
que ces termes possèdent une définition similaire (ils sont
utilisés pour indiquer que « quelque chose est conforme à »),
il existe une importante nuance entre les deux. Conventionnel
sert à indiquer que quelque chose respecte les convenances ou, plus
péjorativement, que quelque chose manque de naturel ou est trop
attaché aux règles, alors que traditionnel
sert plutôt à préciser que quelque chose est passé dans les
habitudes, est depuis longtemps utilisé.
Ex. : Cet
homme cuisine un plat traditionnel.
La
secrétaire salua de manière conventionnelle
les nouveaux arrivés.
Littéralement
Comme
cet adverbe semble plus recherché, plusieurs l’utilisent pour
remplacer la locution tout
à fait,
expression plus courante. Par ailleurs, d’autres croient que
littéralement
découle du mot littéraire
et s’en servent pour signaler la valeur métaphorique de leur
propos.
Ex. : « Je
suis littéralement
ébahi que tu n’aies pas téléphoné. »
« Elle
est littéralement
morte de faim ! »
En
fait, le terme littéralement
vient de littéral,
un paronyme de littéraire,
signifiant « qui est pris au sens strict ». Ainsi, si une
personne dit qu’elle est littéralement morte de fatigue, ce n’est
pas une métaphore : elle est réellement décédée et, en le
signalant, défie toute logique. Si l’utilisation de tout
à fait
ennuie certaines personnes, ces dernières peuvent opter plutôt pour
complètement,
entièrement,
véritablement
ou totalement.
Au
niveau de
Au
niveau de,
locution célèbre employée à toutes les sauces, est très souvent
considérée comme un synonyme d’expressions telles que dans
le domaine de,
du point de
vue de, sur
le plan de,
etc.
Ex. : « Au
niveau de la
relation des personnages, on observe que… »
On
peut se demander si le sens du mot niveau
est lui-même similaire à celui de point,
de domaine
ou de plan.
Une brève recherche permet de constater que ce n’est pas le cas :
le terme niveau
ne peut être utilisé que lorsqu’il est question de hauteur ou de
hiérarchie. Qu’il soit intégré à la locution ne change rien à
son sens premier. Au
niveau de ne
peut ainsi s’utiliser que dans les cas où il est question
d’élévation, de rang ou de hauteur.
Ex. : Les
étagères au niveau de sa poitrine supportaient la vieille
vaisselle.
Au
niveau du gouvernement fédéral, des décisions importantes seront
prises.
Anthony
Gagnon Tremblay
Stagiaire
au Participe