Notre langue, on l’utilise constamment, sans relâche; on la
parle, on l’écrit, on la pense. Une utilisation si intensive que l’on pourrait
la croire innée. Elle fait tellement partie de nous qu'on n’y prête plus
attention, à moins d’être confronté à l’une de ses difficultés issues de son
exigeante grammaire.
Notre langue fait partie de nous : elle trahit qui nous
sommes, elle trahit la façon dont on voit le monde. Seriez-vous le même avec
une autre langue maternelle?[1]
Au-delà de ses règles de fonctionnement, notre langue est la preuve de la façon
dont on conçoit le monde et, bien que les différences puissent être ténues ou
atténuées avec le temps selon la langue avec laquelle on la compare, elles
restent.
Pour être un peu plus concret, si l’on analyse une chose
aussi anodine qu’un fer à cheval, on ouvre la porte d’une perception nouvelle. En
français, le terme « fer à cheval » met l’accent sur la matière,
alors qu’en anglais, le terme « horseshoe » renvoie à la fonction de
l’objet. De plus, la notion de « fer » est associée aux entraves mises
aux esclaves (ferrer un cheval, c’est le domestiquer, se l’approprier) tandis
que la notion de « chaussure » est liée à l’idée d’une protection
pour les pattes du cheval. Et cette différence de perception du même objet rend
bien la différence de traitement de l’animal : alors que pour les Anglais,
le cheval était un animal de compagnie et qu’il était bien traité jusqu’à ce
qu’il meure de vieillesse même s’il se cassait une patte, pour les Français, le
cheval était un outil de travail dont ils ne s’embarrassaient pas s’il était
blessé.
Et ce n’est qu’un exemple dans un océan regorgeant de termes
où chaque petite nuance définit davantage ce qui importe, ce qui a défini, en
partie, les locuteurs natifs d’une langue.[2]
Utiliser notre langue, ce n’est pas seulement communiquer une idée, c’est aussi
témoigner de l’histoire et de l’évolution de notre peuple, de notre communauté,
de nos ancêtres.
[1]
Par exemple : en anglais, vous n’« avez » pas d’âge comme en
français, vous « êtes » votre âge (J’ai 20 ans, I’m 20 years old).
[2]
Par exemple : le fantassin qui est, en français, venu de l’italien et qui
signifie « jeune homme », alors qu’en anglais ce n’est qu’un homme
(maintenant soldat) à pied. L’écolier est celui qui étudie tandis que le schoolboy est celui qui fréquente
l’école.