L’anglais est la langue des affaires, le français, celle de
la culture et de la gastronomie. C’est ce que beaucoup prétendent, c’est ce que
beaucoup croient. Mais les mécanismes ou le lexique de ces langues les
prédisposent-ils à ces domaines ou est-ce qu’il s’agit de perceptions?
Ce qui nous amène à cataloguer les langues ne réside pas
dans les langues elles-mêmes, mais dans les fonctions qu’elles remplissent. Par
exemple, puisque la France est considérée comme le berceau de la haute
gastronomie, les termes francophones sont conservés dans la terminologie
culinaire d’autres langues et sont employés par des chefs de renom[1],
notamment des anglophones. Un autre exemple, l’anglais, langue principale et
officielle des États-Unis, super puissance économique mondiale, représente bien
d’où une langue peut tirer son prestige[2].
Cette importance de l’économie a fait de l’anglais la langue
privilégiée pour le commerce international et puis l’a rendu de plus en plus
usité pour tout ce qui touche les « affaires »[3].
Ce qui en fait une langue considérée comme prestigieuse dans ce domaine et par
extension, puisque l’économie régit en tout ou en partie nos vies, possède une
notoriété plus grande que certaines langues maternelles[4].
Mais l’anglais n’a pas toujours dominé ainsi. Jadis, c’était
le français qui avait préséance sur le monde occidental. Ainsi, les nobles
d’Angleterre se devaient de connaître le français, une langue tellement
prestigieuse à l’époque qu’une de ses premières grammaires,
sinon la première, est l’œuvre de l’Anglais John
Palsgrave.
Et les Anglais n’étaient pas les seuls à parler français,
les Tsars de Russie, notamment Alexandre
III, parlaient le français puisque à l’époque la puissance économique et
militaire de la France n’était pas négligeable.
Il existe une autre forme de prestige, moins
« flamboyante » que celle que nous venons de voir, un prestige cependant
plus près de nous à certains égards. Les variétés de la langue, les niveaux de
langage possèdent eux aussi un certain prestige.
On ressent tous un jugement sur la valeur d’un langage
familier ou populaire par rapport à la forme standard
de la langue (celle qui jouit du prestige « supérieur » au sein de la
communauté linguistique). Alors, comment expliquer que certaines personnes accordent
de l’importance à une forme qui ne dispose pas de ce prestige? Généralement, c’est
motivé par le côté affectif accordé à cette variante[5]
(si c’est la variété utilisée par le milieu social dans lequel on évolue ou
dans lequel on désire évoluer).
C’est donc deux formes de prestige qui s’opposent. En
général, les individus privilégient le prestige apparent puisqu’il est issu de
« l’élite » de la société, d’un niveau vers lequel on aspire à
s’élever. Cependant, certaines personnes accordent plus de valeur au prestige
latent, comme s’il avait l’impression de commettre une trahison en changeant de
registre de langue.
Si rien dans les langues ne motive qu’une soit plus
« importante » qu’une autre ou qu’une variante soit prédominante, il
faut toutefois être conscient de ce phénomène social ne serait-ce que pour en mesurer
pleinement la portée.
[2]
Cette forme de prestige se nomme prestige apparent.
[3]
Des réunions peuvent se dérouler en anglais alors que tout le monde maîtrise le
français ou, encore plus symptomatique, alors que toutes les personnes
présentes sont francophones.
[4]
Par exemple, le néerlandais hollandais qui, bien que langue officielle aux
Pays-Bas, disparait progressivement au profit de l’anglais.
[5]
Cette forme de prestige se nomme prestige latent.